Le 9 juillet 2019, la Chambre commerciale de la Cour de cassation s’est à nouveau prononcée au sujet de la résiliation d’un contrat pour manquement grave, notamment lorsque celle-ci s’est faite sans mise en demeure préalable et sans application de la clause résolutoire.

Dans les faits, une société avait, suite à la découverte des manquements graves de sa franchise, décidé de résilier le contrat de franchise qui les liait, sans avoir mis en application la clause résolutoire pourtant prévue dans le contrat, ni attendu qu’un juge ne prononce la résolution judiciaire du contrat comme le prévoit les nouvelles dispositions du Code civil.

En effet, le franchiseur avait découvert que la société franchisée avait recours à des manœuvres frauduleuses qui lui permettaient d’obtenir des remboursements indus de la part de mutuelles complémentaires, raison pour laquelle le franchiseur avait décidé sans attendre, à ses risques et périls,  de résilier unilatéralement le contrat de franchise.

Prise de court, la société franchisée avait décidé de se tourner vers les juges pour obtenir gain de cause, sauf que la Cour d’appel de Versailles s’est prononcée en faveur du franchiseur.

Insatisfaite de cette décision, la société franchisée a décidé de porter ses prétentions en cassation, arguant :

  • Premièrement, que la Cour d’appel aurait dû accéder à ses prétentions car la Cour aurait dû constater l’envoi l’absence d’envoi de la mise en demeure ou alors aurait dû caractériser la situation d’urgence attestant du bien fondé de la résiliation unilatérale du contrat par le franchiseur sans mise en demeure préalable ;
  • Ensuite, la Cour d’appel aurait dû reconnaitre que le franchiseur était la partie fautive, en ce qu’il n’a pas respecté la procédure prévue par la clause résolutoire contenue dans le contrat de franchise qui avait pourtant été lue et approuvée par les deux parties.

Les arguments de la société franchisée semblent justifiés si l’on se réfère aux dispositions apportées par la réforme du 1eroctobre 2016.

Toutefois, pour bien saisir les enjeux, il convient de revoir les règles communément admises par la jurisprudence avant d’apréhender les dispositions de la réforme du 1eroctobre 2016.

A partir de 1998, notamment avec l’arrêt de principe Tocqueville rendu par la Cour de cassation le 13 octobre 1998, une partie peut décider de résilier un contrat en cas de manquement d’une particulière gravité de la part de son cocontractant.

La jurisprudence sur ce point n’a que très peu évolué, en témoigne l’arrêt du 9 juillet 2019. On peut toutefois noter que le juge a précisé avec le temps que la résolution du contrat peut intervenir nonobstant les dispositions d’une éventuelle clause résolutoire prévue dans le contrat, écartant aussi le critère d’urgence nécessaire qu’on est supposé prendre en compte.

La réforme du 1eroctobre 2016 est venue changer quelques éléments. En effet, la réforme a encadré la faculté de résiliation unilatérale pour manquement grave, il est désormais prévu que pour résoudre un contrat, il faut :

  • soit mettre en œuvre la clause résolutoire contractuellement prévue
  • soit solliciter la résolution judiciaire

A ces deux hypothèses, s’ajoute la possibilité de résolution unilatérale aux risques et périls de la partie qui rompt le contrat, c’est-à-dire sans application de la clause résolutoire, ni attendre que la résolution judiciaire soit prononcée par le juge. La réforme rajoute aussi qu’en cas de résiliation unilatérale pour manquement grave, une mise en demeure préalable est nécessaire à moins de justifier de l’urgence de la situation.

Comme évoqué ci-dessus, les arguments évoqués par la société franchisée semblent justifiés au regard de la réforme de 2016 car  le franchiseur n’a non seulement pas envoyé de mise en demeure, mais aussi n’a pas suivi la procédure prévue par la clause résolutoire du contrat, sans oublier que l’urgence n’a pas été non plus été caractérisée.

Toutefois, malgré cela la Haute juridiction s’est rangée du coté de la Cour d’appel au motif suivant :

« Mais attendu, d’une part, que la cour d’appel a exactement retenu que la gravité du comportement d’une partie à un contrat peut justifier que l’autre partie y mette fin de manière unilatérale à ses risques et périls, sans être tenue de mettre préalablement son cocontractant en demeure de respecter ses obligations ni de caractériser une situation d’urgence ;

Attendu, d’autre part, qu’ayant relevé que la société Grandvision n’avait pas invoqué la clause résolutoire stipulée au contrat, mais s’était prévalue de la faculté de résiliation unilatérale du contrat pour manquement grave telle que définie par la jurisprudence, la cour d’appel en a déduit, à bon droit, que cette société n’était pas tenue de respecter les modalités formelles de résiliation contractuelle ».

La Cour de cassation reprend donc sa jurisprudence d’avant la réforme de 2016 qui n’exigeait pas, en cas de manquement grave, que le franchiseur ait à justifier son choix de prononcer une résiliation unilatérale sans mise en demeure préalable. La Cour rappelle que le seul manquement d’une particulière gravité de la part du cocontractant suffit à exonérer le franchiseur de suivre une quelconque procédure de résiliation unilatérale prévue par la clause résolutoire du contrat.

Comment analyser cette décision de la Cour de cassation qui semble contraire aux  nouvelles dispositions légales de la réforme ?

On pourrait y voir une décision contra legem, mais ce n’est pas le cas. La Cour de cassation n’a fait que suivre la Loi et a statué sous l’empire de la loi  antérieure aux dispositions de la réforme.

Pour le confirmer, il conviendra d’examiner attentivement les prochains arrêts de la Cour de cassation à ce sujet.

Il est important de rappeler un autre point concernant la gravité des manquements pouvant justifier une résolution unilatérale, il s’agit d’une définition qui est à la libre appréciation du juge. Ainsi, la partie qui décide de rompre un contrat unilatéralement en se basant sur la gravité des manquements de son cocontractant, le fait-elle à ses risques et périls et s’expose de ce fait  au risque que cela ne soit pas admis par le juge et lui soit reproché.

Si vous êtes confronté à cette situation, je me tiens à votre disposition pour toute information supplémentaire que vous jugeriez utile.

Maître Isabelle HALIMI

Avocat à la Cour

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